Etat des lieux :
La première difficulté dans la lutte contre les phénomènes sectaires et leurs dérives est l’absence de définition juridique en France de la secte qui ne figure dans aucune loi, pas plus d’ailleurs qu’il y a de définition sur la religion (la France, en vertu du principe de laïcité, s’est interdit de définir le fait religieux ou spirituel pour ne pas heurter la liberté de conscience). D’autres pays européens n’ont pas fait ce choix, tel la Belgique qui a su légiférer : « on entend par organisation sectaire, nuisible, tout groupement à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant telle qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales, dommageables, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine ».
Ainsi, en France, l’existence des sectes n’est pas interdite et seules les manifestations des dérives sectaires tombant sous le coup des textes législatifs de droit civil ou de droit pénal peuvent être relevées. Il faut savoir qu’en France, n’importe qui peut, pour l’instant, visser librement sa plaque sous le titre de « psychothérapeute » exerçant sans formation ni déontologie. D’où l’origine et l’importance de l’action lancée par Infos-Sectes Aquitaine au travers de sa campagne de prévention contre les dérives sectaires dans le domaine de la santé.
Dérives sectaires et droit pénal :
Les gourous et les manipulateurs recherchent, à travers leurs actes, argent, sexe ou pouvoir, voire dans certains cas les trois à la fois ! Les faits les plus courants sont : vols, enlèvements, séquestration, coups et blessures, tortures, non-assistance à personne en danger, viols, attouchements sexuels, prostitution et proxénétisme, incitation à la débauche etc…
Les atteintes aux biens, les faits d’escroquerie ou d’abus de confiance, les tromperies sur les qualités substantielles ou les publicités mensongères sont régulièrement signalés par les personnes qui contactent Infos-Sectes Aquitaine, notamment dans certains mouvements proposant des prestations de développement personnel ou d’amélioration sensible et rapide des potentialités de leurs clients. On nous signale aussi l’exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie et malheureusement le cas de « dérapage » consistant à faire cesser toute pratique de la médecine conventionnelle amenant un certain nombre de patients à l’impasse voire à la mort.
Si le parlement n’a pas voulu aller jusqu’à sanctionner en droit pénal la manipulation mentale, il a tout de même introduit la notion de délit d’abus de faiblesse (loi About Picard du 12 juin 2001) qui « réprime l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse d’un mineur ou d’une personne particulièrement vulnérable en raison de son âge, d’une maladie ou d’une infirmité. Il protège aussi désormais la personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement pour la conduire à des actes ou à des abstentions qui lui sont gravement préjudiciables ».
La difficulté de cette législation est le fait qu’une personne sous influence psychologique ne peut se plaindre que dès lors qu’elle en est sortie, son environnement familial ou amical ne pouvant agir. Quant à l’emprise mentale, elle a fait son entrée dans le code pénal sur le vocable de « sujétion psychologique » avec introduction d’un article 223-15-2 aliéna 1er qui définit le délit d’abus de faiblesse avec trois conditions cumulatives :
1- Un sujet : la victime placée « en état de sujétion psychologique ou physique »,
2- Un auteur qui exerce une manipulation mentale et qui doit se matérialiser selon le vocable du texte pénal par « l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer le jugement »,
3- Un résultat : le délit ne sera caractérisé que si la personne, ainsi placée sous sujétion est « conduite à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».
Hélas, si le droit et la jurisprudence s’adaptent plus ou moins lentement, les sciences humaines et l’utilisation faite par les manipulateurs sont rapides et sans limite. De leur côté, les gourous ou les mouvements sectaires passent souvent à l’attaque en pratiquant des procès en diffamation à l’encontre de leurs anciens adeptes ou de leurs familles susceptibles de se plaindre des agissements subis.
Cependant, la législation a évolué en 2024.
En premier lieu, le nouvel article 223-15-3 du code pénal réprime le fait de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, dès lors que cet état a pour effet d’entraîner des conséquences particulièrement préjudiciables pour elle (altération grave de sa santé physique ou psychique; acte ou abstention gravement préjudiciables). La notion de sujétion, déjà employée au sein de l’article 223-15-2 du code pénal (issu de la loi About-Picard du 12 juin 2001) réprimant l’abus de faiblesse, s’entend d’une complète dépendance ou d’un assujettissement à un tiers.
Le fait d’abuser frauduleusement d’un tel état de sujétion psychologique ou physique pour conduire la personne à un acte ou une abstention gravement préjudiciables est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
Ce délit figure désormais au Il de l’article 223-15-3 du code pénal. En effet, la loi du 10 mai 2024 a opéré une distinction entre les différentes composantes du délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse d’une personne dans un souci de clarification. Il convient par conséquent de se fonder sur cette nouvelle disposition pour la poursuite et la condamnation de ces faits, en lieu et place de l’article 223-15-2 du code pénal.
Les peines encourues en répression de ces délits sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende dans les cas suivants:
- lorsque l’infraction est commise sur un mineur ou sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur
- lorsque l’infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités.
Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende lorsque les faits ont été commis :
- dans au moins deux des circonstances décrites supra
- en bande organisée par les membres d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités.
En cas de commission de ces délits en bande organisée, des techniques spéciales d’enquête pourront être mises en oeuvre (20° de l’article 706-73 du code de procédure pénale).
Ces nouvelles dispositions sont applicables aux faits commis à compter du 12 mai 2024, en application du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.
L’action publique concernant ces délits, lorsqu’ils sont commis au préjudice d’un mineur, se prescrit désormais par dix années révolues à compter de la majorité de ce dernier (article 8 du code de procédure pénale). En application de l’article 112-2 du code pénal, l’allongement de la prescription s’applique immédiatement, y compris aux faits commis avant le 12 mai 2024, dès lors que la prescription n’était pas déjà acquise à cette date.
En deuxième lieu, une circonstance aggravante de sujétion psychologique ou physique est introduite dans le code pénal pour certains crimes (meurtre – 3° bis de l’article 221-4 du code pénal, torture et actes de barbarie – 2° bis de l’article 222-3, article 222-4 du code pénal) et délits d’atteintes aux personnes (violences – 2° bis des articles 221-10, 222-12 et 222-13, article 222-14 et article 222-8 du code pénal – et pratiques visant à modifier ou réprimer l’orientation sexuelle – article 225-4-13 du code pénal) ou aux biens (escroquerie – 4° bis de l’article 313-2 du code pénal).
Enfin, le nouvel article 223-1-2 du code pénal réprime d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, la provocation, au moyen de pressions ou de manoeuvres réitérées, de toute personne atteinte d’une pathologie, à abandonner ou s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé alors qu’il est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner pour elle des conséquences particulièrement graves pour sa santé physique ou psychique.
Selon le Conseil constitutionnel, ces dispositions tendent à la seule « répression d’actes ayant pour but d’amener une personne ou un groupe de personnes visées à raison de la pathologie dont elles sont atteintes à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical», « la seule diffusion à destination d’un public indéterminé d’informations tendant à l’abandon ou à l’abstention d’un traitement médical» ne pouvant« être regardée comme constitutive de pressions ou de manoeuvres ». Ces pressions et manoeuvres pourront en revanche être constituées par le fait de citer de fausses études médicales ou encore des études invérifiables ou tronquées, dans le champ par exemple de traitements anti-cancéreux ou de certains traitements psychiatriques.
Le deuxième alinéa du même article 223-1-2 du code pénal punit par ailleurs des mêmes peines « la provocation à adopter des pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique alors qu’il est manifeste, en l’état des connaissances médicales, que ces pratiques exposent à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ».
Les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende lorsque la provocation prévue aux deux premiers alinéas de l’article 223-1-1 du code pénal a été suivie d’effet.